vendredi 14 mars 2008

Et maintenant … que faut-il faire ?

(Réflexions de JFB dans l’avion du retour. Photos JFB)




Il y a 100 enfants (… et plus) opérés depuis 10 ans au Laos que nous n’avons pas pu rencontrer.
Nous avons constitué notre liste sur des critères arbitraires : concentration géographique (toute relative ! car Luang Prabang où nous sommes allés est à 7 heures de Vientiane d’où nous sommes partis !), parité fille – garçon (finalement nous avons rencontré 12 filles et 8 garçons), dates d’opération réparties dans le temps (1 an, 2 ans, 4 ans, 9 ans ; notre panel était parfait), zone urbanisée et campagne (l’équilibre était bon, bien que nous ne sommes pas allés dans des villages très isolés), etc… Cette liste, que nous avions limitée initialement à une douzaine d’enfants, était la seule manière de nous organiser et d’agir efficacement.
Néanmoins, plus les jours passaient et plus nous manquions de temps, et plus nous étions curieux de rencontrer d’autres enfants. Nous savions qu’en passant devant une école ou dans un village sans nous arrêter, nous laissions peut-être sur le bord de la route le témoignage d’un enfant opéré par MCC et que nous le privions de cet échange avec nous : une opportunité pour lui et sa famille de témoigner de sa reconnaissance, de son bonheur présent, et cette fugace espérance d’une vie meilleure qu’entretient (ou ranime !) le contact avec MCC et les familles d’accueil !
Procéder au hasard aurait été sans doute très compliqué administrativement (nous avions un permis de circuler visé par le Ministre de l’information avec en annexe notre programme !) et cette approche nous aurait probablement conduit à être soit superficiels par manque de préparation, soit inconsistants en regard des rituels qui mobilisent les familles et parfois les villages !
A chaque enfant rencontré, nous avons consacré une journée en moyenne, pour parler avec sa famille, assisté à la célébration d’un baci en notre honneur, déjeuner avec la famille, regarder l’enfant évoluer, laisser sa personnalité s’exprimer, aller à l’école avec lui, rencontrer ses professeurs, gagner sa complicité, lui laisser le temps de photographier tout et rien, avant des « au revoir » jamais feints, toujours touchants : dans les yeux et dans la gestuelle, on pouvait lire la reconnaissance (celle que nous avons l’impérative mission de retransmettre aux équipes de MCC, aux familles d’accueil et aux équipes médicales) et l’espoir jamais formulé, mais omniprésent dans les esprits (de l’enfant, de sa famille), que ce miracle d’une santé retrouvée soit l’aube d’une vie différente de celle de la majorité des petits laotiens. Une vie dont un bout du voile a été levé lorsqu’ils sont venus en France, et qu’ils ont découvert un autre monde, une autre manière de vivre, une autre langue, une autre famille. Les liens qu’ils ont tissés à cette occasion, ils les entretiennent en conservant leurs jouets, leurs livres, leurs albums photos comme des reliques dans un placard auquel personne ne doit toucher, jusqu’au jour où une lettre, une visite raniment ces liens et ravivent l’espoir de cette autre vie au plus profond de leur être. Peut-on décevoir cette espérance et en rester là ? C’est un sujet auquel nous devons tous réfléchir !

Pourquoi eux ? Pourquoi pas les autres ? C’est une vraie question. Mais si nous décidons d’agir, ne faut-il pas commencer par ce que l’on connaît, pour mieux évaluer l’effort nécessaire, mieux contrôler l’effet, mieux suivre dans la durée ? Le temps est un facteur déterminant. Un enfant entre dans la population des « enfants opérés du cœur par MCC » à l’âge moyen de 4 ans et il se passera plus de 10 ans avant qu’il ne soit un étudiant. Comment accompagner ces enfants (et aider leurs parents, pour la très grande majorité extrêmement pauvre, au mieux dans la suffisance) pendant cette période de leur vie ? On le sait, c’est par des études réussies, un accès à l’université, la maîtrise d’un métier, que ces enfants seront à l’abri de la maladie, de l’alcoolisme, de la violence, et de la prostitution, et qu’ils seront en mesure d’aider leur famille proche à passer de la survie, à la suffisance, puis à l’aisance.
Pourquoi eux ? Et seulement eux ? Parce que si nous décidons d’agir, nous devons nous souvenir que ces enfants opérés du cœur ont une histoire commune qui s’est développée à travers Mécénat Chirurgie Cardiaque. Que sans le savoir, ils sont une fratrie avec des traits de caractère communs, une personnalité forgée par la souffrance des premières années d’une pauvre vie, nourrie par l’inconnu d’un voyage à l’autre bout du monde, seuls, sans repère avec l’impérative nécessité de s’adapter à un autre environnement familial. Une grande majorité de ces enfants nous a semblé grave et gaie à la fois, responsables, engagés pour se faire un avenir meilleur. Cette seconde naissance leur a donné une maturité que n’ont sans doute pas d’autres enfants au même âge. Leurs épreuves et leurs expériences sont devenues une chance. N’avons-nous pas le devoir de les aider à la transformer !


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Cher jean François

Que votre article est juste. Il reflète si bien l’émotion ressentie au contact de ces enfants et à travers eux, de leur famille et de tout un peuple. Si nous sommes fiers tous d’avoir contribué à redonner vie à ces enfants en danger, une fois notre mission accomplie nous avons un sentiment d’amertume car d’inachevé. Les mots que vous employés pour décrire ce sentiment que nous partageons tous, nous interpellent et confirment que nous avons tous envie de continuer un bout de chemin avec eux. Pourquoi eux et pas d’autres, c’est bien le sentiment de frustration qui nous domine et nous savons que nous ne pourrons changer le monde car la tâche est trop rude. Alors ne baissons pas les bras et apportons ne serait ce qu’une pierre à l’édifice de la vie en aidant ces enfants de MCC à devenir les ambassadeurs de la fraternité.
Ne laissons pas cette symphonie inachevée et accompagnons les sur le chemin de l’éducation afin qu’ils puissent devenir des adultes autonomes et responsables pour qu’ils puissent à leur tour contribuer à l’épanouissement de leurs générations futures.

Michel Portier