vendredi 29 février 2008

Pour les beaux yeux de Tady


Nous quittons le centre de Vientiane pour une de ces nouvelles banlieues gagnées sur les rizières. L’urbanisation se concentre de part et d’autre des axes routiers. Hier nous avons retrouvé Phitsamay à l’ouest du côté du pont de l’amitié qui traverse le Mékong, la frontière avec la Thaïlande.
Aujourd’hui, nous nous dirigeons dans l’est à la rencontre de Tady et de sa famille. Nous longeons un ruban interminable d’échoppes (vélos, motos, meubles, carrelages, coiffeurs … dentistes), de petits marchés, de gargotes et de vendeurs ambulants.




Les laotiens mangent peu, mais grignotent toute la journée (une soupe par-ci, un poisson grillé par-là, une glace, un biscuit, une mandarine, une soupe, etc…).
Nous tournons à droite de la piste en terre rouge. La vie y est soudainement moins animée, la circulation moins dense. 200m et c’est déjà presque la campagne. 500m et nous tournons à nouveau à droite selon un repère imprécis (le laotien n’est pas toujours précis dans ses explications). Quelques hésitations... vite levées par l’apparition de Ky, le père de Tady, sur sa moto qui fait GPS façon lao.
La maison de Tady est en construction. A vrai dire, il n’y a que la charpente pour témoigner de son existence. Tady et sa famille vivent temporairement (mais le temporaire dure au Laos…!) dans une maison de 15m2, dont les murs sont en contreplaqué. Ils ont déménagé il y a un an pour se rapprocher de l’arrière-grand-père devenu veuf ; il a ses habitudes dans le quartier. Ils feront donc 10km chaque jour à moto pour conduire Tady à l’école, et rejoindre le petit marché où ils ont un stand de marchandises générales qui leur rapporte 150$ par mois (le déjeuner de Tady à l’école coûte 1$ par jour à lui seul !).
Mais ces gens, d’une trentaine d’années, sont propres, simples, ouverts, malgré des conditions de vie précaires. Ils nous reçoivent dans la maison de leur voisin, dont la terrasse surplombe ce qui sera leur jardin. Leur fille unique est née avec de grands beaux yeux il y a 13 ans. Alors, ils l’ont surnommée Tady : « beaux yeux » en laotien.
Tady a été prise en charge par SFL il y a presque 5 ans, en urgence, car son état s’est brusquement aggravé entre 2 visites du « Docteur Alphonse » (comme on appelle Alphonse Pluquailec, cardiologue français d’origine laotienne, et fondateur de SFL. Il y a 10 ans cette année).
Sa malformation a été diagnostiquée dès l’âge de 4 ans par l’hôpital de Mahosot : elle était pâle, ne mangeait pas, avait les lèvres bleues.
La proximité de Marie Luangkhot, permanente bénévole de SFL, avec Tady et ses parents, facilite le processus de programmation de son départ : dossier administratif et dossier médical, mais aussi préparation psychologique des parents et de l’enfant à la séparation.


Tady a été accueillie en région parisienne par la famille Hervé-Gruyer. De son séjour, elle garde un souvenir affectueux (il semble que les 3 ou 4 lettres qu’elle a adressées par la poste à la famille d’accueil ne soient pas arrivées et que les termites aient dévoré ses photos-souvenirs et son passeport !). L’opération s’est passée sans complication et Tady est rentrée au Laos avec 3kg de plus et de l’énergie à revendre. Cette énergie, elle la met au service de ses ambitions. Elle est toujours dans les 3 premières de sa classe de 3e au collège.
Tady veut être docteur du cœur comme « Tata » Francine !


jeudi 28 février 2008

Phitsamay, la courageuse

A 9 ans, Phitsamay a de la personnalité. Depuis qu’elle est revenue de France (5 ans déjà), elle a beaucoup grandi et son caractère s’est affirmé ; elle est solitaire, mais pas introvertie. Elle boude ce qui l’embête, elle rit franchement quand ça lui plait, elle cache ce qu’elle veut garder secret… quelquefois pour de mauvaises raisons : elle a avoué à Marie (à qui elle se confie facilement), et à l’insu de ses parents, qu’elle était tombée d’un arbre il y a quelques mois et que depuis elle avait des fourmis dans la jambe droite ! Peur de se faire gronder par des parents qui la surprotègent (ils ont tellement cru la perdre) ou dure au mal ? Les deux à la fois ! Depuis sa naissance, Phitsamay a souffert, et ses parents aussi !
Lui, Bounmi, était militaire jusqu’à récemment et elle, Sone, est ouvrière dans une usine de mécanique (ils travaillent désormais ensemble, payés 70$ par mois chacun).
A l’âge de 9 mois, on a découvert à Phitsamay un abcès aux poumons. Elle va de séjour en séjour à l’hôpital militaire où elle est admise gratuitement grâce à son père. Le drame, c’est qu’aucun traitement n’agit. Phitsamay est devenue très maigre, ses ongles sont bleus, elle ne tient plus sur ses jambes. Ses parents la ramènent dans leur maison en bambou (le sol était à l’époque en terre battue, et traversé par les poules et les canards !). Au 103 (comme on appelle l’hôpital militaire), on ne leur a guère donné d’espoir.
Alors dans un sursaut désespéré, ils vendent le peu qu’ils possèdent, empruntent à des voisins compatissants, et se rendent à l’hôpital Mahosot où on leur a dit que des enfants comme Phitsamay avaient été sauvés. Elle y restera d’abord 3 semaines (problèmes pulmonaires, au foie, atteinte au cœur, etc…). Ses parents couchent à l’hôpital, dehors, en attendant que la petite se rétablisse. Et elle finit par se rétablir. Prise en charge par SFL, elle sera suivie pendant 1 an et demi avant de partir en France et d’être accueillie par la famille Chanterelle pour l’opération.
Elle est partie de Vientiane en chaise roulante tellement elle était faible et elle est revenue en sautant ! Elle a beaucoup aimé son séjour en France et a le sentiment d’avoir pris des forces (elle a grossi de 2kg). Pendant 1 mois, elle n’a parlé à ses parents qu’en français ou par signes.
Tout est revenu dans l’ordre maintenant, Phitsamay est une élève de CE2 appliquée, comme le sont sa grande sœur Boulom (11 ans) et sa petite soeur Bouakhay (8 ans).
La maison est plus confortable depuis que les parpaings ont remplacé le bambou et le ciment la terre battue… un peu comme en France dont Phitsamay disait : il n’y a pas de terre là-bas, il n’y a que du ciment et il fait toujours jour la nuit !

En voyant la joie de Phitsamay au milieu de ses camarades d’école en train de prendre des photos, on se prête à imaginer que pour Phitsamay et sa famille, la lumière est au bout du tunnel !




PS : Longue séance de photos pour JFM à l’heure de la récréation. Les garçons jouent à chat, les filles à l’élastique, d’autres sont à la buvette où il y a tout : eau, bonbons, biscuits pour le «petit creux» pour ceux qui peuvent payer !
Pour nous, c’est l’heure de « l’apéro » avec les professeurs : Pepsi, bigorneaux du Mekong (réservés aux autochtones !), maïs grillé, couenne de bœuf séchée à mâcher (chewing gum local !)
Après la photo traditionnelle devant le tableau noir, nous nous éclipsons pour un déjeuner de soupe aux nouilles – champignons, poulet et bœuf à la citronnelle. JFM en profite pour faire sur place quelques tirages papier pour les instituteurs.






mercredi 27 février 2008

La Maison du Bonheur

L’orphelinat de Sœur Marie-Catherine à Vientiane

Nous sommes arrivés samedi soir à Vientiane… un peu épuisés par une nouvelle semaine de reportages dans la poussière des pistes de terre rouge.
Après le très froid ; le très chaud ! Difficile aussi d’imaginer la vie dans les campagnes, les pieds dans la boue au moment de la mousson.
Nous quittons à regret cette campagne où le moyen-âge côtoie les signatures de la modernité (paraboles TV, motoculteurs, motos, etc…). Ici, même au milieu de nulle part, le silence est rare : l’échappement du 2 temps Honda est généralement relayé par la télé à tue-tête !

Vientiane, c’est la capitale avec ses grands projets qui la façonne en ville moderne : des grands axes, des bâtiments administratifs imposants. Nous sommes au pays de la centralisation qui trouve ses relais au niveau du district (il y en a une quinzaine), puis du village (ils sont 10.000), puis du quartier.
Dimanche on fait relâche, mais nous avons quand même deux rendez-vous. L’un avec Marie de Santé France Laos, qui nous apporte un soutien précieux dans l’organisation de nos rendez-vous et de notre séjour en général ; l’autre avec une grande tante vietnamienne de JFM, la Sœur Marie-Catherine, dans le quartier du That Luang, la grande stupa sacrée, emblème du Laos !



Depuis 50 ans – elle a traversé tous les régimes – elle crée des orphelinats de jeunes filles au Laos. Cette tata en «cornette» de 77 ans a une énergie considérable et toujours des projets.
Son orphelinat de Vientiane créé il y a plus de 10 ans et qui accueille 40 jeunes filles, de la primaire à l’université, ne lui suffit pas… Alors, il y a maintenant la maison des sourds-muets à Luang Prabang que le Vatican aide à construire, et pour lequel elle forme 2 sœurs et 2 de ses pensionnaires, futures institutrices, au langage des sourds-muets.
Elle se plaint de l’inconfort des 7 heures de car à travers des routes vertigineuses qu’elle pratique une fois par mois pour visiter Luang Prabang… mais elle en rigole !


Ici, la règle est que chaque pensionnaire, quel que soit son âge, utilise son temps libre à travailler au potager, au verger, à la bananeraie. Et puis, il y a l’étable avec les vaches qui ont remplacé les poulets pour cause de grippe aviaire, et la porcherie. A l’orphelinat, on mange 1 cochon par mois, et 3 veaux par an ; une vie quasi en autarcie sur un terrain gagné sur les rizières (comblées par des camions de bonne terre il y a 8 ans) et maintenant encerclé par ce qui devient la banlieue sud, prochainement bouleversée par un projet de zone franche confié aux chinois, en échange d’un stadium pour les jeux pan-asiatiques de 2009. L’orphelinat pourrait bien y perdre sa bananeraie avec une indemnité compensatoire misérable… intérêt collectif oblige !


Mais la religieuse est philosophe. Elle qui en 1975, dans l’uniforme des Sœurs de la charité, s’est vue confier par le Parti la direction d’un quartier de Savannakhet, et l’animation de groupes de «formation» aux nouvelles règles morales et politiques de la Révolution !
A 19h00 la cloche sonne. Sœur Marie-Catherine nous invite à partager le dîner quotidien des autres sœurs (elles sont une douzaine, plutôt jeunes, deux sont très âgées).
Après le bénédicité, soupe de légumes frais du jardin, tranche de rôti de porc au riz vapeur, salade garantie rincée à l’eau minérale, banane du jardin, verre de lait de soja fabrication maison… un régal !


Notre conversation se poursuit pendant la prière du soir des enfants. Leurs chants résonnent depuis la chapelle qui ressemble à la maison du bonheur… par contraste avec ces villages dont elle nous parle. Car Sœur Marie-Catherine évoque un Laos que nous ne connaissions pas : celui des villages des minorités, distants de 200km, dans l’Est, par des pistes difficiles. Des villages sans hygiène et pratiquement sans école. Elle nourrit le secret espoir de pouvoir y envoyer l’une de ses protégées devenue institutrice. Elle ferait non seulement la classe aux enfants, mais aussi aux parents. L’enseignement de l’hygiène est prioritaire pour faire reculer la pauvreté. Mais il faudrait la payer correctement et régulièrement. Là est le problème (l’orphelinat vit sur un budget fait de dons jamais suffisants). Dans ces villages, l’instituteur est payer 30$ par mois, et pas toujours… alors il n’est pas souvent là car il doit partir cueillir ou chasser pour sa survie !
Il est 21h00 déjà. Les enfants sont assis devant la télévision dans le réfectoire (c’est l’un des deux soirs autorisés avec le samedi). Sœur Jeanne est désignée pour nous reconduire, accompagnée de Sœur Marie-Catherine qui ne conduit plus la nuit. Cela ne l’empêche pas chaque mois de prendre son 4x4 pour faire le tour des villages en prêchant l’hygiène et les mille et une manières de faire cuire un œuf !

mardi 26 février 2008

Sayfone, la charmante petite comédienne

Le village de Sayfone est au niveau du pont qui surplombe le Nam Kgum, cette rivière dans le lit de laquelle a été construit, en 1971, le premier barrage du Laos ; un lac de 250.000 hectares est ainsi né. Les paysans sont devenus pêcheurs sur le haut de leurs collines qui sont maintenant des iles magnifiques et les forestiers des plongeurs. Ici ni coraux, ni éponges, mais le teck : des immenses forêts immergées au stock quasi inépuisable.
Nous passons la nuit sur les bords du lac dans des bungalows, genre « ma cabane au Canada », au-dessus d’un petit village de pêcheurs. Ici pas ou peu de touristes. Un embarcadère pour les bateaux qui font la liaison entre les îles. Certaines ont été aménagées après la révolution de 1975 en camp de rééducation … pour les « mauvais éléments » ou les « fléaux de la société » ! Personne ne sait trop dire s’ils existent toujours ( ?!).
Au petit matin avec le soleil qui chauffe, la brume s’évanouit et laisse place au spectacle d’un ballet de barques motorisées (monotype 5, 5CV Honda !) qui font la course pour vendre leur poisson. A terre, un poisson chat de 25kg est négocié au portable. L’affaire se fait à 1 million de kips (4$ le kilo !). Nous attendons de voir la prise avant de quitter cet endroit authentique et d’une grande beauté.

Sayfone nous attend chez elle ce matin ; comme c’est samedi, il n’y a pas école. Nous étions venus en repérage et nous nous étions arrêtés en début de semaine sur notre route pour Vangvien. Nous lui avions laissé la grande feuille de Canson préparée par JFB et les crayons de couleur pour qu’elle fasse un beau dessin avec sa classe. Sayfone est en CE2 et travaille très bien. Elle est devenue à 8 ans et demi, une jolie fillette. Elle se déplace avec élégance dans sa robe à volants de bohémienne de théâtre ; elle se prête au jeu des photos avec JFM comme une vraie petite comédienne. Elle est gracieuse et n’est pas timide. Son père, Boun Thong (qui signifie : qui incarne la fête) et sa maman Toc ont une trentaine d’année et vivent désormais dans une petite maison de bambou louée en surplomb de la rivière, à 500m de celle de la grand-mère maternelle qui les accueillait chez elle auparavant.
Leur maison est simple, mais a « tout le confort » : télé (évidemment !), DVD, mixer, réfrigérateur, cocotte électrique. Du papier est tendu sur les murs pour empêcher les courants d’air ; c’est gai … à l’image de cette famille.
Boun Thong travaille au Nam Ngnum 2 en construction en amont de notre lac ! Il est Bac +2 avec une spécialité informatique. Il gère les stocks là-bas et y reste toute la semaine. Il construira une vraie belle maison quand il aura amassé suffisamment d’argent. Pour l’instant, la vie semble se dérouler simplement. Sayfone, opérée il y a 5 ans, est guérie. Elle incarne la joie de vivre comme sa petite sœur surnommée « Pouy » (elle n’a pas encore de nom car il n’y a pas d’acte de naissance au Laos ; on lui donnera un nom lorsqu’elle ira à l’école). Il fallait voir l’excitation à l’ouverture des paquets de « ma » (Claude Guichard) qui l’a accueillie en France. Ici au Laos, pas d’enfant égoïste ; on partage. Alors Pouy aura sa part avec les ballons qu’elle gonfle avec sa maman, que cela fait beaucoup rire.
Après les jus des noix de coco fraîches du jardin préparées à la machette par Toc, nous sommes invités à partager des légumes cuits à la vapeur et à l’ail (délicieux !), une carpe (élevée dans la rivière par le grand-père militaire du Phatet Lao en retraite), puis des bananes, des mandarines, le tout arrosé d’un verre de « Lao Beer ». C’est la fête ! Il faut dire que c’est aussi la fête dans toutes les maisons du village avec karaoké et musique à fond.
Sayfone à qui nous avons confié le petit appareil va de maison en maison pour faire son reportage.
Boun Thong s’est absenté pour acheter une carte de téléphone et appeler Claude Guichard. JFB prétexte d’avoir le numéro préenregistré et appelle. Malheureusement, Claude n’est pas là. C’est au répondeur que Sayfone glisse doucement un « Je vais bien. Je travaille bien. J’aimerais te voir. Merci ». Elle n’a pas oublié sa marraine de France et ses quelques mots de français.
La journée s’avance et nous avons de la route à faire avant la nuit (avec beaucoup de chicanes mobiles non éclairées !). Nous quittons avec des grands « au-revoir» sincères cette famille à l’image de Sayfone, naturelle et charmante.